Guerre en RDC : entre silence et vérité, quelle place pour la France dans la région ?

La République démocratique du Congo est en proie à une crise humanitaire catastrophique avec une situation complexe qui dure des décennies. Au cours des dernières années, la situation s’est considérablement détériorée en raison de l’ampleur et de la multiplication des conflits dans le pays. Ce pays à grandeur continentale vit le cauchemar suite aux guerres tribales, territoriales, économiques et le peuple de Kivu tire le diable par sa queue. Pourquoi cette guerre est-elle éternelle ? Qui sont les acteurs ? Que cherchent-ils au point de décimer systématiquement toute une population comme l’ouragan ? Plein de questions probablement sans réponse se posent.


La guerre de la RDC est une guerre complexe au costume multicolore : ethnique, tribale, politique et économique sur fond de guerre d’influence. Il s’agit des revendications de marginalisation politique, de tribalisme et de l’incapacité du gouvernement à respecter et à mettre pleinement en œuvre les accords de cessez-le-feu. Cette fois-ci, ce n’est pas une solution à deux Etats : c’est une solution entre deux belligérants, le gouvernement de la RDC et le M23, un mouvement, qui n’est pas le seul à semer la terreur sur le sol de la RDC, mais une rébellion de taille et de grandeur. Elle est une épine dans le pied du président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi.

Le M23, une résistance à l’injustice ou un prétexte ?

Cette question est polysémique et ferait parler un muet dans la région. Les protagonistes directs ne s’accordent pas sur la racine principale de cette guerre. D’après certains, « le M23 est issu du groupe rebelle Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), qui a déposé les armes le 23 mars 2009, à la suite d’un accord de paix stipulant que ses soldats seraient intégrés dans la police et l’armée congolaises, tandis que l’aile politique du CNDP deviendrait un parti officiellement reconnu. Cependant, une faction au sein du CNDP a, par la suite, dénoncé la mauvaise application de l’accord et s’est transformée en un nouveau groupe rebelle. »[1] Ce dernier s’est fait connaître sous le nom de M23 en 2012 et a pris les armes. Les rebelles ont déclaré qu’ils luttaient contre la marginalisation politique et le manque de représentation ethnique de la minorité tutsie au sein du gouvernement de la RDC ce qui favorisait les massacres perpétrés contre eux. Faut-il croire à cette hypothèse ?

Du problème RDC au problème de la région des Grands Lacs

Depuis la montée en puissance du M23 à une allure de feu d’été, un fauve à visage humain, le monde a été surpris : pas plus de deux heures pour occuper toute une superficie à perte de vue. Les bottes des FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo) craqués sur la porte du palais présidentiel pour rapporter l’« impossible mission » d’affronter les rebelles. Kinshasa tape à coup de sourd, se creuse la tête et ne sait sur quel pied danser pour anéantir cette force monstrueuse mais selon Christophe Boisbouvier, journaliste de RFI et spécialiste de l’Afrique, le RDC est une arrière-cour des pays de la région. Le Rwanda cherche à « réduire l’influence de l’Ouganda dans l’est du Congo, il y a une compétition […] sur le contrôle de l’Est du Congo et c’est quand Paul Kagame a appris que l’Ouganda voulait construire une nouvelle route entre la frontière ougandaises et les grandes villes de l’est du Congo que le M23 a repris ses activités il y a deux ans »[2].

Le Rwanda accepte (quelque fois) lui sa présence sur le sol congolais sous le statut de chasseur des génocidaires Hutus-rwandais FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) ayant pris une poudre d’escampette vers la RDC après avoir massacré les Tutsies en 1994, une ethnie de Kagame. Et d’ailleurs, selon le Rwanda, ces anciens maitres qui régnaient sur Kigali ont été « pleinement intégrés dans l’armée congolaise. […] le gouvernement congolais est engagé dans des « opérations de combat massives » visant à expulser les civils tutsis congolais »[3] que la RDC ne reconnaitrait pas (officiellement) comme congolais selon Kigali. Toutefois, certaines voix estiment que cette raison avancée par Kigali serait un prétexte au-delà de la réalité pour entrer librement sur le sol congolais, soutenir le M23 et piller les ressources naturelles dont regorge l’est du Congo. Par ailleurs « 90% des quantités de coltan (principale source du tantale), d’étain et de tungstène, trois minerais plus connus sous l’appellation « minerais 3T », exportés par le Rwanda sont introduits illégalement à partir de la RDC, selon une étude récemment publiée par l’ONG Global Witness. »[4]

Par la puissance du feu du M23, Kinshasa appellent désespérément au secours aux cris d’un lion à une force régionale pour arrêter ce qu’il considère comme une rébellion parrainé par  le Rwanda. Ainsi, une force régionale de l’Afrique de l’est y est déployée et après une année sur le front avec le M23, le bilan négatif de son efficacité ne nécessite pas une loupe. C’est une force-observatrice et subit des assauts et protestations de la population du nord Kivu « la population est fatiguée de voir cette force de l’EAC se transformer en une mission d’observation »,[5] dénonce Bienvenu Matumo, l’un des responsables du mouvement citoyen Lucha. Après une année, cette force prend ses jambes à son cou mais les soldats Burundais et Ougandais y restent aux côtés des forces FARDC. « Certains soldats ougandais et burundais ont, eux, été autorisées à rester sur le sol congolais. Ils interviennent déjà dans le cadre d’accords bilatéraux de coopération militaire contre les ADF et, initialement, contre les groupes armés burundais installés en RDC. »[6]

Le rôle présumé (actuellement confirmé par les experts de l’ONU) du Rwanda dans la guerre qui ravage l’Est de la RDC tend les nerfs des congolais. Le président lui-même, avant qu’il ne soit réélu pour un nouveau mandat, avait menacé de passer au parlement pour demander un accord afin que les FARDC s’attaquent directement au Rwanda. De retour, les tueries qui ravagent l’Est du Congo laissent croire Kigali que Kinshasa est un pays génocidaire qui cherche à exterminer l’ethnie du M23. Un coup de tonnerre dans l’Univers diplomatique. Selon Felix Tshisekedi : « Paul Kagame utilise ce discours, imaginaire pour justifier les aventures criminelles au Congo, diviser les congolais et fragiliser l’unité nationale. »[7] Le ton monte depuis entre Kigali et Kinshasa car, selon ce dernier, le Rwanda soutient en matériel et en homme les rebelles du M23 ce que jusqu’à l’heure actuelle, malgré les rapports des experts de l’ONU, Kigali rejette en bloc et considère que Kinshasa l’utilise comme un prétexte échappatoire aux problèmes de la RDC.

RDC, une proie aux gencives des fauves ?

Après l’influence anglo-saxonne, les Etats Unis s’engagent à contrer l’influence française dans la région par le soutien de Kagame depuis 1990 contre le président d’alors Juvénal Habyarimana. Ils « se sont attachés à réduire le pré carré français et à amoindrir le système de la Françafrique. »[8] À côté des États-Unis, les entreprises aussi asiatiques qu’européennes envahissent le Kivu et y travaillent impunément selon l’ONG Global Witness qui recense « en 2017 les sociétés East Rise Corporation (Hong-Kong), Malaysia Smelting Corporation (Malaisie), Trademet (Belgique), Traxys (Luxembourg) ou encore Specialty Metal Resources (bureaux à Hong-Kong et Bruxelles) »[9].
Faut-il croire à « keep them poor » de Robert Kiyosaki dans Rich Dad poor Dad ? Ces puissances extérieures que ce soient les voisins et celles d’autres continents ont un avantage de garder toujours la RDC dans une guerre, dans une « économie de prédation » sous une fausse couverture de guerre ethnique. Ce bénéfice des pays extérieurs expliquerait peut-être un silence de certains d’entre eux sur l’affaire Kinshasa-Kigali. Ignorance ou justice au coma ? De même, la Chine et l’Inde mènent une guerre économique au côté des pays occidentaux bien que son influence [10] n’empêche pas ces pays colonisés y compris la RDC à dépendre des produits européens.

« Qui trébuche et ne tombe point, avance son chemin », dixit un proverbe.

En 2023, Emmanuel Macron entamait une tournée africaine du Gabon en République démocratique du Congo en passant par l’Angola et le Congo. Une assurance peut être aux pays africains de l’engagement de l’Hexagone au développement de l’Afrique. Arrivé à Kinshasa, certaines personnes ont pu protester en raison d’une volonté d’en finir avec la France dans le pays. « Des acteurs de la société civile reprochent à la France de ne pas condamner publiquement l’attitude du Rwanda et son soutien aux rebelles du M23 qui endeuillent l’est de la RDC.»[11] Le dicton « Qui ne dit mot consent » semble trouver une place dans ces protestations.

Vérité blessante ou langue trébuchée ?

Après des tensions entre Paris et Kinshasa en 2023, lors d’une visite du Président français, l’année 2024 marque un réchauffement des relations bilatérales, grâce à la reconnaissance officielle des responsabilités du Rwanda dans le soutien au M23. Paris finit par lâcher le diable dans une déclaration de M. Emmanuel Macron à Felix Tshisekedi sur les relations entre la France et la République démocratique du Congo, à Paris le 30 avril 2024 : « le Rwanda – je l’ai redit au président KAGAME dans un échange récent – doit cesser son soutien au M23 et retirer ses forces du territoire congolais. Je lui ai redit, et je le rappellerai dans les prochains jours »[12] . La situation se redresse.

Qui allaiter, qui sevrer ?

Il est encore trop tôt pour oublier le mauvais souvenir entre Paris et Kigali. La reconnaissance du rôle de la France dans le génocide rwandais de 1994 avait apaisé les tensions. Actuellement avec les tensions entre la RDC et le Rwanda sur fond des massacres que commettent le mouvement rebelle du 23 Mars, cette condamnation de Paris à Kigali risque de déterrer le tissu pourri et Paris pourrait se retrouve en dilemme : faut-il dire la vérité face aux exactions de Kigali à l’Est de la RDC ? De toutes les façons, la France avait l’obligation de trancher, au même titre que les autres pays sinon les conséquences pourraient être pires.
Premièrement, la perte de la crédibilité en tant que partenaire économique avec la RDC alors que le France a une présence qui se développe [13] comptant une trentaine d’entreprises parmi lesquelles, celle de la télécommunication (Orange, GVA), entreprise de production de la bière (Castel), Total Énergies pour la production pétrolière et des sommes colossales investies dans le pays « 500 millions d’euros […] pour des projets concrets en matière de santé, d’éducation, d’enseignement supérieur et de recherche, de formation professionnelle, d’entrepreneuriat culturel ou encore de sport ». [14]
Deuxièmement, en tant que premier pays francophone au monde et un parmi les pays francophones de l’Afrique de l’Est (majoritairement anglophones), il existe une potentialité d’exercer, par sa taille, une influence linguistique [15]. L’ingérence dans le conflit ou une inattention de la France pourrait avoir des répercussions négatives sur l’intégration linguistique de la RDC dans communauté de l’Afrique de l’Est : un échec pour la France de briller dans l’EAC par sa langue.
Troisièmement, l’envie de certains pays de rompre les relations avec la France (Mali, …) et une désinformation pourrait menacer les intérêts français dans le pays : une jeunesse pourrait se mobiliser contre eux comme constaté dans d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.
En somme, l’avenir de la France en RDC et de la langue française dépendront de sa politique diplomatique extérieure. Elle doit être respectueuse et modérée avec des orientations profitant aux populations de la communauté de l’Afrique de l’Est pour éviter toute crise diplomatique pouvant mener à un dégoût de coopération française.

Par Thérence HATEGEKIMANA

[1] https://ipisresearch.be/fr/weekly-briefing/pourquoi-le-m23-nest-pas-un-groupe-rebelle-comme-les-autres/

[2] https://youtu.be/CM754MtfE3Y?si=1Mc6dpEw0xvVk63X

[3] https://www.lepoint.fr/afrique/crise-entre-la-rdc-et-le-rwanda-comment-eviter-une-guerre-regionale-29-03-2024-2556255_3826.php

[4]https://www.agenceecofin.com/mines/0707-99492-90-des-minerais-3t-exportes-par-le-rwanda-sont-introduits-illegalement-a-partir-de-la-rdc-global-witness

[5] https://www.dw.com/fr/rdc-fustration-population-contre-force-eac/a-64501882

[6] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20231208-rdc-le-mandat-de-la-force-de-l-eac-prend-officiellement-fin-mais-quand-partiront-ses-soldats

[7] https://m.election-net.com/article/pretendue-rwandophobie-au-congo-la-rdc-n-est-pas-et-ne-sera-jamais-genocidaire-la-replique-de-felix-tshisekedi-a-paul-kagame

[8] https://www.diploweb.com/Afrique-Minerais-de-sang-et-neocolonialisme-en-Republique-Democratique-du-Congo-RDC.html

[9]https://www.diploweb.com/Afrique-Minerais-de-sang-et-neocolonialisme-en-Republique-Democratique-du-Congo-RDC.html

[10] https://www.diploweb.com/Afrique-Chine-Inde-L-economie.html

[11]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/02/rdc-des-dizaines-de-jeunes-manifestent-a-kinshasa-contre-la-venue-du-president-macron_6163859_3212.html

[12] https://www.vie-publique.fr/discours/294013-emmanuel-macron-30042024-france-republique-democratique-du-congo

[13]https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/CD/relations-bilaterales

[14]https://www.vie-publique.fr/discours/294013-emmanuel-macron-30042024-france-republique-democratique-du-congo

[15] https://lavoixauchapitre.fr/dans-lafrique-des-grands-lacs-une-francophonie-dynamique-et-des-enjeux-de-preservation/