Mayotte et les enjeux de l’économie bleue
L’espace maritime mahorais est en première ligne face aux enjeux du territoire, subissant tour à tour la pollution humaine et les destructions de biodiversité. La densité de population grandissante pèse de tout son poids sur le lagon de Mayotte qui, au lieu d’être un espace de ressource et de résilience, subit les externalités négatives d’un développement économique et social débridé. Du désastre écologique à la résilience marine, il n’y a qu’un pas. Plongée au cœur des enjeux du lagon mahorais.
Des ressources naturelles à valoriser
Le lagon est un atout majeur pour l’île de Mayotte, un réservoir de richesses permettant d’aider au développement du territoire. « L’économie bleue mahoraise présente des atouts susceptibles de créer de la richesse et de l’emploi : un lagon exceptionnel et une position stratégique attractive dans le canal du Mozambique. Tirer parti de ces avantages nécessite de faire face à de nombreux défis : la structuration des filières de la pêche et de l’aquaculture, l’émergence d’un secteur tertiaire dit « bleu » ou encore l’organisation logistique du port maritime »[1], expliquent les responsables de l’IEDOM[2] Mayotte. « […] Dans le plan de mandature précédent, il a été décidé par les élus du Conseil département l’exploration des opportunités offertes par les ressources maritimes, afin de tendre vers un développement économique, vivier d’emplois potentiel à Mayotte », complète Bibi Chanfi, 5e vice-présidente du Conseil départemental de Mayotte en charge du développement économique et de la coopération décentralisée. « Plus que d’une mise en place de l’économie bleue, je parlerais plutôt d’une volonté de structurer celle-ci comme une filière en se donnant les moyens d’être chef de file et moteur dans ce domaine stratégique. »
Développer l’économie bleue peut se concrétiser par la structuration des « filières pêche et aquaculture […] en soutenant un développement durable des pêches maritimes […] »[3]. « Avant la fin des activités aquacoles, Mayotte exportait l’ombrine en métropole, un poisson très apprécié qui représentait le principal produit d’exportation de l’île », souligne Yves-Michel Daunar[4], directeur général de l’EPFAM[5]. « Après une forte croissance de 2001 à 2003, la production s’est stabilisée puis a périclité en partie à cause de problèmes structurels d’organisation de la filière et des contraintes liées à l’approvisionnement en juvéniles et en aliments », précisent les responsables du Parc naturel marin.
Ainsi, le potentiel du lagon apparaît sous-exploité et sous-encadré. « […] La crise de la Covid-19 a mis en lumière la fragilité du territoire dans cette logique de dépendance des importations. Mayotte importe 50% de ses besoins en produits de la mer alors que nous aurions la capacité de couvrir ceux-ci en faisant appel à notre environnement océanique », développe Bibi Chanfi.
Protéger l’environnement
Les richesses environnementales mahoraises nécessitent une protection accrue de la part des pouvoirs publics. « En plus de la biodiversité corallienne et de la faune associée (poisson, coquillages, concombre de mer, algues, …), nous disposons d’une variété de tortues qui pondent sur nos plages [et] de mammifères marins (baleines, dauphins) [qui trouvent refuge dans le lagon] », affirme Bibi Chanfi. « Il s’agit d’un environnement fragile d’autant plus que la pression démographique est extrêmement élevée »[6]. L’enjeu est d’autant plus important que la croissance démographique, estimée à 3,8% entre 2012 et 2017[7] et appuyé par une croissance économique de 3,2% entre 2018 et 2019 semble perdurer.
La candidature de Mayotte pour « obtenir l’inscription du lagon au patrimoine mondial de l’UNESCO pourrait constituer une opportunité exemplaire de valoriser la biodiversité […] et de conforter la notoriété du territoire […] »[8]. Une première étape dans la préservation du patrimoine naturel de l’île alors que la mission de préservation a été confiée au Parc naturel marin mis en place en 2010 « dont les limites couvrent la Zone économique exclusive […] », et qui veille à « […] la pratique raisonnée des activités traditionnelles, économiques et ludiques à l’intérieur comme à l’extérieur du lagon »[9], d’après la stratégie du Conseil départemental.
Tout l’enjeu pour Mayotte est de trouver une méthode pour parvenir à court terme, à exploiter un environnement sous-valorisé conformément aux enjeux de l’économie bleue et dans le même temps de préserver l’environnement sur le long terme.
Les enjeux d’une méthode
Planifier l’aménagement du territoire et les activités économiques pourrait permettre de conjuguer développement économique et protection de l’environnement. Actuellement en cours de révision, le Schéma d’aménagement régional (SAR), piloté par le Conseil départemental de Mayotte, est un « document de planification stratégique », explique Bibi Chanfi, « document-cadre, le plus élevé dans la hiérarchie des documents de planification, il vise à aménager le territoire et à encadrer les activités économiques afin d’éviter des externalités négatives ayant des conséquences directes sur l’environnement et plus précisément sur le lagon. Il doit permettre de maîtriser et d’encadrer l’étalement urbain, le ruissellement des eaux ou l’artificialisation des sols », complète Yves-Michel Daunar.
Deux initiatives poussées par les pouvoirs publics vont dans ce sens. « […] Le Département va livrer courant 2023 un établissement de formation professionnelle aux métiers de la mer. Du côté de l’Etat, un lycée de la mer et du littoral est aussi programmé. Ces deux établissements prévus en Petite-Terre, répondront aux besoins de notre territoire pour capter le potentiel économique de notre milieu marin », partage Bibi Chanfi. Des initiatives qui semblent nécessiter une coordination des acteurs.
La création du Haut-commissariat au plan par le président Macron en septembre 2020, même dénué de pouvoir coercitif et décisionnel, semble aller dans le sens d’une prise en main par les pouvoirs publics de l’aménagement des territoires « sans qu’il y ai pour autant de répercussions à l’échelle locale pour le moment. L’action de cette instance reste circonscrite à l’échelle nationale tandis que les décisions continuent d’être prises à l’échelle locale », poursuit Yves-Michel Daunar. « Les élus restent décisionnaires en dernière instance, le rôle de l’EPFAM est de les conseiller, de les accompagner et parfois même de les convaincre si nécessaire. »
La réussite de la stratégie « économie bleue » repose donc sur la capacité à mettre en place les outils inclus dans le SAR et malgré une large disponibilité des moyens, fédérer les différents acteurs et optimiser les ressources nécessite donc de revoir la méthode pour pouvoir atteindre les objectifs fixés.
Inscrire Mayotte et son lagon dans le XXIe siècle
La concentration des enjeux contemporains (démographie, pollution, croissance économique) conjuguée à l’étroitesse du territoire rend la marge de manœuvre limitée si bien que le « territoire de Mayotte a besoin de l’innovation pour s’adapter aux changements », indique Yves-Michel Daunar. « Grâce à une veille informationnelle dans le monde scientifique et industriel, l’EPFAM est force de proposition notamment dans le cadre de la rédaction du SAR. Métrocable, pratiques agricoles sans intrant ou encore gestion des déchets grâce à l’énergie solaire sont autant de solutions novatrices à l’étude », car l’innovation s’inscrit toujours dans une recherche d’équilibre entre économie et écologie. Et de poursuivre : « A l’image de ces nouveaux bâtiments dans lesquels on essaye d’intégrer, dès la construction, un système d’aération naturel afin d’éviter au maximum le recours à la climatisation artificielle. » Trouver un modèle équilibré pourrait également permettre à Mayotte et à la France d’exporter le modèle et de rayonner dans la région.
À l’heure actuelle, la diversité naturelle de Mayotte se cristallise autour de la fascination à l’égard d’un phénomène géologique sous-marin extraordinaire. « La naissance en 2019 d’un volcan sous-marin au large de la Petite-Terre est une exception mondiale qui suscite la fascination de la communauté scientifique […] »[10]. Tout un symbole. Demain, la fascination laissera-t-elle place à l’action ?