Francophonie : l’impasse du multilatéralisme et le retour de l’universalisme à la française
La francophonie prend racine dans un lien privilégié et une identité commune afin d’unifier les intérêts des 88 Etats et gouvernements et de millions de francophones. Pourtant, le bilan de l’Organisation internationale de la francophonie est mitigé alors que le lien fraternel entre francophones ne demande qu’à être approfondi. Comment réunir la grande famille de la francophonie ?
Une envie de langue française
Loin d’un simple outil de communication, la langue française représente aussi une façon de percevoir le monde pour les francophones du monde entier. « […] La langue traduit directement l’articulation de la pensée de la communauté qui l’adopte, traduit directement une culture, et dans un certain sens intervient directement dans la structuration des individus », indique un rapport de l’Ecole de Guerre Economique (EGE). [1]
Reconnu comme un gage de qualité et vecteur d’un idéal, la francophonie bénéficie d’une aura à travers le monde. « Les Français ont la chance de disposer d’un modèle normatif assorti d’un art de vivre et d’un capital culturel exceptionnel, qui sont à l’étranger des éléments de rêve et d’attraction. Mais ils les laissent dépérir et ne les utilisent pas assez pour y asseoir des stratégies d’influence économique et politique », constate Claude Revel, ancienne élève de l’ENA et haut-fonctionnaire française.
La langue est un élément constitutif de l’identité puisqu’elle véhicule une certaine idée du monde et le français traduit une certaine idée de la France et de la francophonie. « La langue n’est pas seulement un moyen de communiquer. Elle véhicule […] une certaine conception du monde », déclare François Massart-Piérard, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain. [2]
Ciment ou sentiment culturel ?
Si la France est bien évidemment l’acteur central de ce projet, bâtir une francophonie forte permettrait également de répondre à une attente des francophones et francophiles de tous les pays. « Pour mémoire, la Francophonie n’a d’ailleurs pas été créée par la France, mais par Senghor, Bourguiba, Sihanouk et Diori à Niamey en 1970 », clame Christian Gambotti, directeur de l’institut Choiseul. [3]
Les anciens peuples colonisés trouvent aujourd’hui dans la francophonie une façon constructive de se réconcilier avec la France. « Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française », selon les mots de Léopold Sédar Senghor. D’ailleurs, « la Francophonie invite à se rassembler, elle n’y force pas », complète Christian Gambotti. [4]
Diversité des cultures locales et universalité de la langue française
La francophonie est respectueuse des cultures locales et « défend la diversité culturelle car il s’agit d’un concept universel », plaide Boutros Boutros Ghali, secrétaire de l’OIF de 1997 à 2002 [5]. « Si l’identité francophone transcende les identités nationales, elle ne les annule pas, bien au contraire, elle les préserve, tout en développant une ambition économique et une ambition politique. Il s’agit bien, dans le respect de la diversité, de consolider les solidarités économique et politique », ajoute Christian Gambotti. [6]
Pour les 300 millions de francophones à travers le monde, « le partage d’une langue apparaît comme le partage d’une vision du monde fondée sur les mêmes valeurs de civilisation », indique l’Agence universitaire de la Francophonie, une entité de l’OIF. [7]
Les obstacles de l’OIF
L’Organisation internationale de la Francophonie est l’organisation politique la plus aboutie de la francophonie puisqu’elle rassemble 88 Etats et gouvernements en s’appuyant sur le principe de multilatéralisme.
Cette volonté d’agir par le biais du multilatéralisme va de pair avec un moralisme exacerbé. « […] Nous pouvons constater que leurs efforts ont été orientés vers la défense de certaines valeurs et non pas vers la défense de l’intérêt national français », indiquent les auteurs du rapport de l’EGE. Par conséquent, l’OIF défend plutôt des valeurs que des intérêts. « Bien que ce point puisse directement découler de l’évolution socio-culturelle intérieure de la France et que les valeurs défendues (démocratie, droits de l’homme, tolérance, culture LGBT etc.) puissent être considérées comme « nobles », elles ne rapportent pas grand-chose de plus que de la gratification et ne sont plus en phase avec la réalité d’un monde qui nous rattrape malgré nous », complètent les auteurs du rapport.
Si bien que, « privée d’une stratégie œuvrant pour l’intérêt national, la France perd de jour en jour de son influence à travers le monde face à d’autres nations qui, elles, n’hésitent pas à raisonner en termes de puissance. » Mais l’OIF – parfois synthétisé sous le terme « Francophonie » (avec un « F » majuscule) – ne représente qu’une forme de francophonie basée sur le multilatéralisme tandis que d’autres alternatives se dessinent déjà.
Le rôle de la France dans la francophonie
L’avenir de la francophonie est incertain et la langue française recule : le rôle de la France dans la défense et la promotion de la francophonie interroge quant au manque de perspectives claires. « Le cas de la Francophonie, précédemment évoqué, est assez révélateur de ce manque de vision globale qui caractérise la stratégie française. Directement inspirée du système du Commonwealth institué par la Grande Bretagne en partenariat avec son ancien empire colonial, elle est toutefois insuffisamment dotée en moyens financiers et l’influence de la France s’y érode progressivement. Lors d’un entretien, Christian PHILIPP, ancien Représentant spécial du président de la République française auprès de l’OIF, pointait le relâchement de la politique de sauvegarde du français sur ses zones d’implantation actuelles, notamment par un déficit d’enseignants francophones et un désintérêt de la France sur la question », détaillent les auteurs du rapport de l’EGE. [8]
La francophonie bénéficierait d’une implication stratégique plus grande de la France car, d’après Jacques Attali, auteur d’un rapport sur la francophonie économique, « […] la France est devenue le « mauvais élève » de la Francophonie. Engluée dans une morale de la repentance, elle semble incapable de structurer un espace géoéconomique autour du partage de la langue française. […] Il s’agit, pour Jacques Attali, d’une grave erreur stratégique », ajoute Christian Gambotti, en guise de conclusion.
Tout l’enjeu pour la francophonie repose donc sur l’impulsion et la vision données par la France, disposant d’atouts considérables et garante de la réussite du projet. A bon entendeur.