Et si la langue française participait à l’avenir de l’Ethiopie ?

L’Éthiopie, pays d’Afrique de l’Est, est une mosaïque linguistique où la plupart des langues sont liées à  une multitude d’ethnies et à différentes régions. La langue la plus parlée est l’amharique, une langue sémitique faisant partie du groupe des langues afro-asiatiques et servant de langue officielle et nationale dans l’administration, dans l’éducation et dans les médias. D’autres langues, telles que l’oromo et le tigrigna, sont quant à elles des langues ethniques qui sont parlées mais pas au même degré  que l’amharique. Cela fait que le paysage culturel de ce pays soit enrichi par la diversité de toutes ces langues nationales et ethniques, auxquelles s’ajoutent des langues minoritaires et régionales. Outre ces langues, certaines écoles et universités enseignent des langues étrangères, en particulier le français et l’anglais, qui sont les plus dominantes. L’anglais est particulièrement populaire en tant que langue seconde dans un contexte international ou commercial. Le français occupe une place restreinte, mais importante, notamment dans les milieux universitaires et diplomatiques. Cependant, cette langue pourrait s’avérer décisive dans le développement éthiopien, contribuant à son intégration dans les communautés  régionales, voire continentales.

Historique du français en Éthiopie

En 1917, sous l’impulsion de l’empereur Ménélik II, un projet de construction d’un chemin de fer entre Djibouti et la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, est entamé. Ce projet fut exécuté par des ingénieurs français introduisant ainsi la langue française dans ce pays  comme langue de travail. De plus, ce projet crée un parallélisme linguistique entre l’amharique, la langue principale en Éthiopie, et le français, puisque les rapports de travail sont rédigés soit uniquement en français, soit dans les deux langues. C’est principalement pour des raisons techniques que l’existence, mais aussi le renforcement, de cette langue sont attestés à cette période. Les cadres et les ingénieurs qui travaillaient pour ce projet sont francophones et les termes techniques nécessaires à la construction n’existaient pas dans la langue locale, l’amharique, d’où la nécessité pour des cheminots locaux de s’adaptater à la langue  française. C’est alors en 1974, après le déclin du régime d’Hailé Sélassié, que les Français partirent, furent remerciés et remplacés par des sympathisants de la révolution qui venait d’être faite. Pendant cette période, le rôle du français devint limité. Bien que les Français quittent l’Éthiopie, la langue française y conserva son statut de langue prestigieuse.  

D’après Yohannes Beyene, le français a toujours été la langue des élites hautement éduquées, à commencer par l’empereur Haylä Sellasé Ier, lui-même. La demande de l’enseignement de la langue française s’explique encore actuellement par le fait qu’elle est considérée comme une langue de prestige. Cette considération particulière de l’Éthiopie pour cette langue marque une reconnaissance et un respect du peuple éthiopien envers la France, une base solide pour cette dernière de redynamiser l’apprentissage du français. 

Le français, une clé pour le développement de  l’Éthiopie

Dans l’introduction de cet article, nous avons mentionné que le paysage linguistique de ce pays de l’Afrique de l’Est est diversifié, rendant sa culture très riche. On y parle plusieurs langues étrangères, telles que le français, l’anglais et l’arabe. L’anglais est utilisé dans les communications internationales, le français dans les relations diplomatiques, tandis que l’arabe est employé dans un cadre religieux. Toutefois, ce pays a besoin d’une autre langue qui lui permettrait d’échanger avec le monde extérieur et de s’intégrer dans les différentes communautés, notamment la communauté de l’Afrique de l’Est dont elle serait le potentiel candidat et le français serait le mieux placé pour assurer ce rôle. Pour rappel, cette communauté a officialisé le français comme sa langue d’administration. Cela risque de poser problème à l’Éthiopie, une fois intégrée au sein de la famille, car le français est maitrisé d’une manière très limitée en raison de la faible implication de ce pays, depuis des décennies, dans son apprentissage. Selon The Ethiopian Herald Newspaper, en février 2012, le Premier ministre éthiopien a émis le souhait que « le français soit une langue obligatoire dans chaque lycée du pays afin que le peuple éthiopien puisse parler à l’Afrique francophone ; le français étant, avec l’anglais et l’arabe, l’une des trois langues internationales du continent africain ».

Ce souhait du Premier ministre présente des avantages très variés pour son pays. Tout d’abord, si l’Éthiopie intègre la communauté de l’Afrique de l’Est, elle pourrait devenir un carrefour clé pour les échanges commerciaux interrégionaux en raison de sa position géographique et de son statut au sein de l’Union africaine.  Elle pourrait, en outre, servir de lien entre les pays de la communauté de l’Afrique de l’Est et d’autres communautés, comme celles de l’Afrique de l’Ouest, par exemple. La raison est qu’Addis-Abeba accueille des sommets, des conférences et des négociations qui favorisent la coopération régionale et commerciale. Cela attire en effet de nombreux investisseurs et entreprises étrangers. Deuxièmement, le français est une langue ancienne en Éthiopie qui y a été introduite en raison des enjeux économiques. Cette amitié historique représente un point fort qui explique que la relation franco-éthiopienne est en bonne posture pour enseigner la langue française, pourquoi pas l’officialiser en tant que langue d’enseignement. De plus, le français est une langue qui n’est pas associée à l’héritage colonial, contrairement à la plupart des pays africains. 

Par contre, d’autres langues possèdent des caractères connotatifs qui pourraient déranger la communauté éthiopienne et sa liberté de croyance. Compte tenu de son orientation conservatrice et de sa population majoritairement orthodoxe, il s’avérerait compliqué pour ce pays d’employer l’arabe comme langue internationale aux côtés de l’anglais, car elle serait automatiquement associée à une dimension religieuse, ce qui compromettrait la liberté de culte. En outre, bien que le chinois soit la langue la plus parlée, elle ne serait pas bien accueillie en raison du caractère commercial qui y est associé, selon certains. Ces raisons seraient plus valables pour l’Éthiopie de conférer au français non seulement le statut de langue d’unité dans un pays multilingue, mais également  de langue d’intégration régionale pour ce pays, siège de la diplomatie africaine,  au carrefour des opportunités. Les Éthiopiens peuvent accéder à des ressources éducatives, des échanges culturels et des opportunités professionnelles à l’échelle internationale.

Quelles perspectives ?

Si l’Éthiopie devait adhérer à la communauté de l’Afrique de l’Est, elle deviendrait l’un de ses pays les plus peuplés, avec plus de cent millions d’habitants. Cela représente un atout considérable pour l’épanouissement  du français dans ce pays. Cependant, certaines initiatives peuvent contribuer à susciter l’intérêt pour cette langue et à encourager d’autres personnes à s’y intéresser. 

D’abord, les décideurs politiques devraient y créer des écoles d’excellences régionales pour permettre aux locuteurs francophones d’autres pays de la communauté de s’y rencontrer. Cela favoriserait les Éthiopiens à l’apprentissage du français grâce à  une immersion linguistique. Ensuite, il serait plus influent de placer les Éthiopiens maitrisant le français à la tête des organisations internationales francophones (comme l’O.I.F, A.U.F) pour que ceux-ci puissent développer des projets de promotion du français en respectant la culture locale. Ceci serait plus avantageux dans la mesure où ce pays détient un statut significatif en Afrique et inciterait les jeunes Ethiopiens à apprendre le français. De plus, l’Éthiopie, par sa diversité culturelle et linguistique, avec de nombreuses langues et ethnies, l’apprentissage du français peut également offrir des opportunités de communication interculturelle. Il faudrait à cet effet fonder des écoles francophones régionales et interrégionales en Éthiopie pour permettre aux différentes ethnies de renforcer la cohésion entre les régions et les groupes ethniques. Comme le disait Serge Uzzan, « la modernité est sans doute le mot le plus creux de la langue française ».

Ainsi, l’apprentissage du français en Éthiopie constituerait  un atout majeur pour son développement, non seulement en Afrique, mais aussi sur la scène internationale.


Par Thérence HATEGEKIMANA