Les Iraniens et la francophonie : un pont entre les cultures
L’Iran entretient une relation singulière avec le français depuis de nombreux siècles, cependant, depuis quelques années une perte de vitesse est observée. Le français devient une langue de second plan. L’anglais a pris le dessus.
Commençons par un rappel historique.
La genèse de la francophonie en Iran
Le premier échange s’est déroulé au XVIIe siècle, lorsque Jacques Dutertre prit, pour la première fois, l’initiative d’enseigner le français à la Cour royale d’Ispahan sous le Chah Abbas. Ce moine capucin était un véritable ambassadeur de France à la Cour d’Ispahan. Sa démarche peut être considérée comme le début d’une tâche éducative informelle. Cette entreprise culturelle ouvrit la voie à une remarquable maîtrise du français par le Chah Naseroddin et la majorité des princes de la dynastie Kadjar quelques années plus tard.
Le second élément est la nouvelle ère éducative sous le règne de Naseroddin Chah. Sous l’égide du grand homme d’État Amir-Kabir, une école polytechnique voit le jour en 1851. Ici, l’enseignement scientifique se donne en français, avec une majorité d’enseignants originaires de France. Sept ans après, constatant la maîtrise grandissante du français par les étudiants, le gouvernement envoie 42 élèves sélectionnés en France pour poursuivre leurs études, principalement en médecine. Ces diplômés reviennent peu à peu remplacer les professeurs étrangers, établissant le français comme la langue dominante de l’enseignement supérieur pendant de nombreuses années. Ainsi, l’influence française s’ancre profondément dans le tissu éducatif persan grâce à cette école visionnaire.
La naissance d’un sentiment francophile en Iran
Le français a joué un rôle important dans l’histoire de l’Iran, ceci créant un lien fort entre les Iraniens et le français.
Au XIXe siècle, Napoléon Bonaparte entre en contact avec le roi d’Iran, proposant une collaboration pour contrecarrer les projets britanniques en Inde. Bien que cette tentative n’aboutisse pas, elle marque le début d’une connexion significative entre les deux nations, avec l’Iran reconnaissant la France comme un allié potentiel pour protéger ses territoires. Cet élan crée un lien qui va au-delà des enjeux politiques pour embrasser la sphère culturelle. L’influence culturelle française en Iran se manifeste particulièrement au cours du XXe siècle, avec l’introduction de l’apprentissage du français. En 1903, les écoles de l’Alliance Israélite Universelle (AIU), initialement créées pour la communauté juive défavorisée en Iran, sont devenues un terrain d’échange intercommunautaire. Non seulement ouvertes aux enfants juifs, ces écoles non-prosélytes attirent également des élèves musulmans de milieux ruraux. Ce mélange hétérogène d’étudiants, formant une camaraderie unique, a joué un rôle crucial dans le changement politique et social qui a suivi, notamment leur participation à la révolution constitutionnelle.
Les diplômés de ces écoles pionnières ne se contentent pas de bénéficier de l’éducation reçue, mais ils contribuent également à l’évolution de la société iranienne. En réponse à une demande croissante de modernité, ces anciens élèves établissent de nouvelles écoles où l’enseignement du français devient une pierre angulaire. Ainsi, la langue française devient un symbole de progrès et de vision avant-gardiste en Iran, catalysant un changement profond dans le paysage éducatif et social.
Évolution contrastée : du déclin du français à son renouveau dans l’enseignement supérieur iranien
L’essor de l’anglais aux dépens du français en Iran s’est opéré à partir du début du XXe siècle, marqué par l’influence grandissante des Anglais et des Américains sur les affaires du pays. Bien que la visite officielle du général de Gaulle en 1963 ait conduit à un accord entre les gouvernements pour ériger une nouvelle école française à Téhéran, baptisée Zakariyyâ Razi en hommage au célèbre médecin iranien du Xe siècle, le déclin du français s’est accéléré après la fermeture des écoles mentionnées en 1979, suite à des événements politiques majeurs.
Contrairement à d’autres régions, le français n’a pas été introduit en Iran par le biais de la colonisation, ce qui en a fait la langue privilégiée d’une certaine élite sociale. L’enseignement du français, amorcé au XVIIe siècle et culminant au XIXe siècle avec l’établissement du Dâr ol-Fonun, a régressé au début du XXe siècle, et davantage encore après la Deuxième Guerre mondiale. Cependant, la francophonie a connu un renouveau à la fin du XXe et au début du XXIe siècle, entre 1990 et 2010, en Iran.
Actuellement, le français est enseigné dans vingt départements universitaires, tant publics que privés, dans les grandes villes, couvrant des niveaux allant de la licence au doctorat. La licence propose deux filières majeures : langue et littérature française, ainsi que traductologie. Au niveau du Master II, quatre filières sont offertes : littérature, didactique, traductologie et, plus récemment, les études françaises. Le doctorat propose deux filières distinctes : la littérature française et comparée, ainsi que la didactique du FLE, instaurée depuis l’année 2010. Le français est également enseigné au niveau secondaire à Téhéran et dans certaines grandes villes provinciales. Une demande croissante pour l’apprentissage du français se manifeste depuis une décennie, notamment dans les instituts privés, alimentée par ceux aspirant à s’installer ou à poursuivre des études universitaires dans des pays francophones, notamment au Canada.
Une francophonie latente
Le français conserve sa pertinence en Iran en raison de son passé historique et de son influence culturelle. Il s’adresse principalement à la communauté intellectuelle iranienne à travers la traduction d’un vaste éventail d’ouvrages, notamment dans les domaines des sciences humaines.
En Iran, la francophonie linguistique se révèle latent grâce à l’adoption courante de mots et expressions français dans le langage quotidien, témoignant d’une histoire profonde de traduction d’œuvres françaises depuis le XIXe siècle. L’influence culturelle française persiste malgré la prédominance du persan, avec un intérêt croissant pour le français dans l’enseignement universitaire. En 2017, 40 000 élèves iraniens apprenaient le français. La francophonie culturelle latente trouve ses racines dans l’engagement historique des intellectuels iraniens avec la France, dépassant les considérations politiques. Aujourd’hui, bien que le français ait des usages limités, il reste un atout intellectuel et culturel, favorisé par une élite francophone influente. L’immigration vers des pays francophones renforce également la présence du français en Iran. La francophonie littéraire, en particulier la traduction d’auteurs français contemporains, joue un rôle essentiel, reflétant une convergence thématique avec la société iranienne et encourageant une approche polyglotte dans les milieux académiques et artistiques.
Par Chloé Burel