« La langue anglaise n’existe pas » : la Perfide d’Albion en embuscade

L’affirmation a l’audace de provoquer, mais qu’en est-il réellement ? La langue anglaise est-elle du français mal prononcé ? Outre l’aspect volontairement piquant et provocateur, Bernard Cerquiglini revient avec précision sur les mots de vocabulaire, sur leur origine et sur histoire … parfois mouvementée. 

Une bande de mer sépare la langue anglaise de la langue française, ce qui n’a pas empêché une grande porosité entre les deux idiomes au fil de l’histoire, et « dans ce grand jeu de paume au-dessus de la Manche, la langue anglaise est au service ». Lorsqu’il est question de linguistique, la politique n’est jamais loin, car l’utilisation de la langue – anglaise ou française – va toujours de pair avec des échanges souvent, des oppositions parfois et des conflits, de temps en temps.

« Du français mal prononcé »

L’auteur assume un parti pris singulier qui renvoie la langue anglaise à ses origines profondes, dont la langue française constitue le socle. « […] La puissance véritable de l’anglais et son prestige universel, sa valeur, son aptitude à traiter de tout tiennent au recours massif à une langue particulière : le français. »

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Les manuels de linguistique en conviennent, avec un rien d’aigreur quand ils sont anglophones : plus du tiers du vocabulaire est d’origine française ; si l’on ajoute les mots imités du latin, la barre des 50% est dépassée. »

Le pendule des anglicismes

Certains mots à consonance anglo-saxonne ne sont finalement que des mots français déguisés qui ont fait des allers-retours entre les langues, c’est ce que Bernard Cerquiglini appelle « le pendule des anglicismes ». 

Si à la lecture de ces lignes vous prononcez voucher à l’anglo-saxonne, sachez que vous prononcez mal, car il s’agit tout simplement d’un mot français à l’origine. C’est en tout cas le postulat de l’auteur qui réaffirme l’importance de l’étymologie. « Si l’on renonce fâcheusement à employer bon d’échangebon ou coupon, autres vocables français de franche allure, alors, pour le moins, que l’on prononce voucher correctement, c’est-à-dire à la française », explique-t-il.

Plus besoin de s’excuser après avoir utilisé un anglicisme ! À condition de les prononcer à la française, on peut donc de nouveau utiliser de nombreux mots tels que : baconcashchallengecoachcottagedestroyglamourkarting ou encore mail. Pour autant, attention à ne pas oublier l’aspect politique de cette pratique et la domination, sans partage, de la langue anglaise, version anglais international.

La langue du conquérant

Quand la linguistique rencontre la politique. Toujours en s’appuyant sur le mot voucher, l’auteur affirme que l’utilisation de l’anglais revêt un côté politique, témoin du passage vers une domination politique étatsunienne. « L’emploi de voucher n’est donc pas anodin. Si l’on veut bien nous accorder la bienveillance que la voyagiste refusa, nous dirons que cet emploi conjugue un désaveu de la langue française et (le commerce international étant régi par les États-Unis d’Amérique) une allégeance atlantique. »

Alors que la langue française a influencé l’Angleterre du Moyen-Âge, on observe par la suite une inversion du mouvement, qui voit la langue française reculer sous les coups de boutoir de l’anglais. « La langue anglaise change progressivement de statut, s’emparant des fonctionnalités du français, disputant son crédit, s’arrogeant son lexique. Elle conquiert, après 1400, les positions qu’il occupait : langue officielle, idiome professionnel, puis véhicule international ; l’anglais doit au français son émancipation. »

La langue française influence beaucoup les élites anglaises, qui y voient une façon de s’émanciper et de s’ouvrir sur l’Europe. « Qu’est-ce donc que cet anglo-français si précieux ? Rien d’autre que l’idiome qui permet, dans l’Angleterre des XIIIe et XIVe siècles, la réussite économique et sociale, la pensée et la foi, l’archivage et la mémoire, l’administration des hommes et des biens. A l’intérieur, il offre un outil de communication à l’élite d’une nation dont la langue maternelle est fortement dialectisée ; à l’extérieur, étant donné le prestige européen de la langue française, il amarre l’Angleterre au continent. »

Ouverture sur la francophonie

La francophonie peut finalement être reconnaissante de la présence de l’anglais. « L’essor mondial de l’anglais est un hommage à la francophonie, l’acquittement d’une dette séculaire envers notre idiome. »

L’auteur va même plus loin en expliquant que la langue anglaise est finalement intimement liée à la francophonie. « En Angleterre, au français « colonial » de la conquête normande, imposé et arrogant, a succédé, après 1260, le français idiome second et choisi, outil de lecture et de travail, facteur de développement de l’anglo-saxon. Au bilinguisme vertical s’est substitué un dialogisme horizontal, le français accompagnant et promouvant la langue maternelle. Une telle histoire est connue ; elle s’appelle Francophonie », souligne Bernard Cerquiglini. 

Les racines de la francophonie remontent bien avant l’Organisation internationale de la francophonie. « Pour un Léopold Sédar Senghor le français, « trouvé dans les débris du colonialisme », pouvait être un instrument de progrès ; il pensait la francophonie comme un espace d’échanges, de pluralité culturelle, d’enrichissement mutuel », observe l’auteur. Et de conclure : « Cette francophonie de dialogue est une idée d’avenir. Nous avons maintenant que bien avant Senghor, Bourguiba, Diori, bien avant les indépendances africaines et les premiers sommets de chefs d’État, la Francophonie fut inventée, expérimentée et pratiquée avec succès en Angleterre. Et cela dans les années 1300 … ».