En perte de vitesse générale, la langue française vers un dynamisme prometteur ?

Crédit ministère de la Culture

Tour à tour étirée entre un fort besoin de modernité, influencé par un monde qui évolue vite, et un irrésistible recours aux racines linguistiques, dans un souci de cohérence et de respect des règles inhérentes à sa pratique, le français est aujourd’hui un trait d’union entre le passé et le présent. En perte de vitesse, partout où il était pratiqué, le français se trouve actuellement concurrencé et battu en brèche par une multitude de facteurs : recul de l’apprentissage du français langue étrangère ou encore, concurrence linguistique et culturelle anglo-saxonne.

Avec 300 millions de locuteurs à travers le monde, le français se maintient tout de même, en bonne place parmi les « langue-monde », avec de nombreux îlots de résistance sur les cinq continents. Pourtant, la tendance est largement défavorable à la francophonie

« La langue française n’appartient pas à la France et aux Français », a rappelé le président Macron le 21 juillet 2023, à l’occasion des 140 ans de la Fondation de l’Alliance française. Pourtant, face à la concurrence des autres langues « qui est parfois rude », selon les mots du président, et pour inverser la tendance, faut-il un capitaine à la francophonie ? Et si oui, ce capitaine doit-il être la France ?

En mars 2023, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France a rendu le Rapport au Parlement sur la langue française, qui dresse un état des lieux de la francophonie avec ses limites, ses contraintes, ses atouts et ses perspectives d’évolutions. Plongée au cœur des enjeux de la francophonie.

 

 

Un constat amer

Le dynamisme de la francophonie et son avenir sont intimement liés à l’apprentissage qui en est fait dans les écoles françaises, mais également à l’étranger via les lycées français, le réseau des Alliances françaises et les Instituts français.

Le rapport du ministère de la Culture dresse un constat amer concernant l’état de la langue française qui voit son usage affecté par une montée en puissance de l’illettrisme. « Plus de 2,5 millions de Français (âgés entre 16 et 65 ans) étaient en situation d’illettrisme [selon une enquête de l’INSEE] en 2011 », rapportent les auteurs du rapport. Par ailleurs, « 10% des jeunes de 17 ans en métropole et 35% dans les territoires ultramarins sont en difficulté de lecture ». D’une manière plus générale, « 70% des Français pensent que la qualité de la langue française s’est détériorée dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis 10 ans ».

Ainsi, la pérennité de la langue française est menacée en interne, pas une défaillance de l’apprentissage, mais également de l’extérieur par une forte concurrence de la langue anglaise. Par exemple, l’ARCOM (successeur du CSA) est régulièrement saisi pour des questions linguistiques : 80% des plaintes concernent la thématique « anglicismes ».

 

 

Une posture de protection et de défense

Face à un recul général de la langue française, des mesures ont été adoptées dans une logique de protection de la langue.

À l’occasion de son 30e anniversaire en 2024, la loi initiée par Jacques Toubon, présente un bilan plutôt positif. Entre les pays qui protègent leur langue comme la France et des pays qui ne le font pas « comme la Suisse ou la Belgique […] l’écart est énorme », indique Jacques Toubon, ancien ministre de la Culture et de la Francophonie et ancien Défenseur des droits. « Cela reflète une singularité française : la langue fait partie du débat public et à ce titre, elle fait l’objet d’une politique publique. » D’ailleurs, 65% des Français sont favorables à une loi de protection du français dans les médias.

À ce titre, l’ARCOM veille au respect de la langue française dans les médias et en particulier dans le domaine de la musique. « Selon la loi du 30 septembre 1986, les radios privées doivent diffuser aux heures d’écoute significatives, pour la part de leurs programmes composés de musique de variétés, un minimum de 40% de chansons d’expression française ou dans une langue régionale en usage en France, dont la moitié au moins provient de nouveaux talents ou productions. […] Sur les 122 contrôles effectués en 2021, 93 montrent le respect de ces engagements », partagent les auteurs du rapport.

Une langue en partage est aussi un facteur d’unité et de cohésion sociale, si bien que, protéger la langue commune est aussi une façon de préserver l’unité nationale au service de l’intérêt général. « L’objectif de la loi [Toubon] était avant tout social : il s’agissait de favoriser l’unité et la cohésion nationales par le biais d’une langue commune. Le français représente le bien le plus largement partagé dans notre pays, et même au-delà dans la francophonie : c’est ce que j’appelle notre trésor commun », poursuit Jacques Toubon.

De même, au Québec, le législateur s’organise pour défendre l’usage du français dans la Belle Province. « L’année 2022 a marqué un important virage pour le français au Québec », indique Juliette Champagne, sous-ministre du ministère de la Langue française du Québec, « avec la mise à jour de la Charte de la langue française qui fixe quatre grands objectifs pour assurer la pérennité du français au Québec : consacrer le français en tant que seule langue officielle et langue commune ; renforcer le statut du français dans toutes les sphères de la société ; assurer l’exemplarité, de l’Etat en matière d’utilisation du français ; aménager une gouvernance linguistique à la fois neutre et forte ».

 

 

Un consensus partagé, des atouts à valoriser et des mauvais exemples

Cette volonté de défendre le français comme langue commune des francophones est aussi le symbole d’une langue universelle, trait d’union entre les peuples. « Le français permet de dire et de penser l’intégralité des savoirs : il peut être qualifié de langue universelle. C’est pourquoi la loi Toubon l’érige comme « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement », déclarent les auteurs du rapport.

De l’enseignement au ciment social, il n’y a qu’un pas. « Il faut replacer la question de la langue dans le champ de la cohésion sociale. Les études montrent que nos concitoyens considèrent cette bonne compréhension des termes employés comme un élément essentiel du pacte démocratique », partage le sénateur Mickaël Vallet. « En n’étant pas exemplaires, nos responsables rendent inopérants les discours volontaristes […]. Pourquoi se gargariser de formule comme French Impact ou Health Data hub ? », questionne le sénateur. « Pour chaque anglicisme utilisé, c’est une expression française de perdue. Le défi commence là : cultivons notre langue française, que le monde entier nous envie ! », complète le député de la 1ere circonscription des Yvelines, Charles Rodwell.

Cette langue en partage, vecteur d’unité, constitue un atout et permet d’en retirer des avantages, notamment dans le domaine des affaires. « La francophonie économique est une réalité. Parler la même langue est un remarquable levier d’échange et de développement, car la relation commerciale s’approfondit aussi avec le partage dans la langue française. À rebours de la tendance à l’anglicisation de la sphère professionnelle en France, qui creuse les différences hiérarchiques, culturelles et d’âge, je tiens pour acte managérial fort de favoriser l’emploi du français comme langue commune, seule apte à préserver l’unité des équipes et la richesse de la délibération interne », explique Steve Gentili, président international du Forum francophone des Affaires. 

 

 

Une opportunité de réinventer la langue française

Au-delà des simples postures « défensives », on pourrait voir apparaître dans les années à venir de nouvelles postures constructive (ou offensive), s’appuyant sur les qualités de la langue française pour offrir des alternatives, tournées vers l’avenir de la francophonie. Le potentiel est énorme mais largement inexploité.

Le secteur de la publicité est en première ligne en matière de respect de l’usage du français tant l’influence anglo-saxonne est forte et le recours à cette langue à dimension internationale peut servir des usages commerciaux. Cependant, « défendre la langue française passe, selon moi, non par l’interdiction d’expressions internationales qui peuvent potentiellement l’enrichir, mais par une bien plus grande sensibilisation et stimulation des professionnels, afin de leur donner l’envie de plus et mieux utiliser la langue française dans toute sa richesse », affirme Nicolas Bordas, vice-président international de l’agence de communication TBWA.

De même, pour inscrire la langue française dans le monde du XXIe siècle, il convient d’anticiper les besoins. « Une langue n’est vivante que si elle « dit » le monde d’aujourd’hui et ne délègue pas à d’autres le soin de le décrire », ajoute Frédéric Vitoux, de l’Académie française, président de la Commission d’enrichissement de la langue française. « En 2022, elle s’est intéressée à diverses priorités : éducation, spaciologie, santé, environnement, et évolutions climatiques, ordinateurs quantiques … Ces exemples traduisent sa vigilance à bien nommer et donc à bien comprendre les mutations, les menaces comme les progrès, que nous vivons. »

Cette posture volontariste de la langue française dans le XXIe siècle, ne peut exclure l’espace numérique et l’intelligence artificielle, deux grands domaines d’innovation. « La question de la souveraineté numérique pose un défi important dans le domaine des intelligences artificielles. Alors que nous prenons conscience des possibilités qu’elles ouvrent, nous devons constater que les modèles actuels, comme ChatGPT, sont bien mieux éduqués en anglais que dans d’autres langues. S’ils fonctionnent en français, ils disposent de moins de ressources et de vocabulaire. Il faut s’assurer que ces modèles soient bien nourris en français », détaille Henri Verdier, ambassadeur pour les affaires numériques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Et d’ajouter : « Pour que les créations francophones soient aussi valorisées que les autres, nous devons les promouvoir par une action positive. En les indexant, les référençant, les traduisant. De même, pour les mégamodèles comme ChatGPT : il doit y en avoir plusieurs, auxquels chacun pourrait contribuer dans sa langue ». Ainsi, « face au monopole de l’anglais, nos politiques publiques en France, en Europe et en francophonie doivent garantir la diversité culturelle, comme notre souveraineté », indiquent les auteurs du rapport.

L’enjeu est si important pour les années à venir, qu’il est pris en compte au plus haut sommet de l’Etat. « Redonner à la langue française sa place dans le monde, c’est l’objectif du président de la République dans son plan d’action […] », indiquent les auteurs du rapport. Ainsi, le plan présidentiel de mars 2018, intitulé « une ambition pour la langue française et le plurilinguisme », prend en compte cet enjeu de francophonie constructive via le triptyque : « apprendre, communiquer et créer en français ».

De nombreuses initiatives permettent de mettre en lumière les réussites francophones et d’en encourager d’autres. D’abord, l’accent est mis sur l’apprentissage via des usages particuliers : « Renforcer la place de la langue française apprise comme langue étrangère ; participer davantage à la formation des talents dans le monde ». Ensuite, la communication constitue le deuxième volet : « conforter la place du français sur la toile ; promouvoir les médias francophones ; encourager l’usage du français et le plurilinguisme dans la vie économique et diplomatique ».

Enfin, le plan présidentiel cherche à encourager la création en français, avec un projet phare : l’ouverture de la Cité internationale de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts, tout un symbole puisque le lieu a été choisi en référence à l’ordonnance éponyme, signée par le roi François Ier en août 1539 visant à généraliser l’usage de la langue française dans le royaume.

Après plusieurs retards dans les travaux de réfection, l’ouverture de la Cité internationale de la langue française devrait finalement être effective au deuxième semestre 2023. Largement abandonné avant d’être magnifié ? Le destin du château de Villers-Cotterêts serait-il à l’image de la francophonie ?

Par Simon Douaglin