Depuis plusieurs années, un discours de plus en plus virulent se développe dans certaines nations africaines, notamment au Sahel et en Afrique de l’Ouest, visant à culpabiliser la France comme racine de tous leurs maux sociétaux que vivent ces pays : pauvreté, instabilité politique, terrorisme, mal-gouvernance pour ne citer que ceux-là. Ces croyances qui se rependent à la mode d’une fumée se manifestent dans la couche paysanne jusqu’au sommet des institutions étatiques. En guise de contestation, la population n’hésite même pas à attaquer des ambassades de France ou bien le moins qu’elle peut faire, mettre au feu les drapeaux français. Dès lors, des questions surgissent. Est-ce vraiment la France ? Ne serait-il pas une manipulation d’une puissance étrangère à la conquête de ces pays ? Et si les dirigeants se faisaient passer pour innocent pour justifier leurs échecs ? Ce qui est certain, c’est que ce discours qui, dans la plupart des cas manque de preuves, relayé par certains mouvements politiques populistes, nourri par une désinformation et amplifié sur les réseaux sociaux, pourrait prendre racine dans un obscurantisme idéologique qui occulte les causes internes que connaissent ces pays.
Le passé colonial, un haillon pourri
Selon Jaromir Kadlec, la France « […] était dotée d’une politique coloniale linguistique développée […] portant sur l’assimilation linguistique et l’imposition de la langue coloniale à la population colonisée […]. Les Belges pratiquaient comme les Allemands l’administration indirecte, accordaient une place importante aux langues africaines dans l’administration des colonies, et laissaient l’initiative dans le domaine de l’enseignement aux missionnaires. » Il est alors indéniable que la colonisation française a laissé des cicatrices profondes sur le continent africain. Cependant, plus de 60 ans se sont écoulés depuis les indépendances. Blâmer aujourd’hui la France pour les échecs de gouvernance, la corruption endémique, l’insuffisance des infrastructures ou le manque d’investissements dans l’éducation et la santé relève d’un déni de responsabilité ou un prétexte échappatoire pour justifier toute autre défaillance institutionnelle. Ce passé colonial ne devrait pas durer des décennies et ne devrait pas servir de prétexte aux dirigeants des anciennes colonies. Par ailleurs, il est plus questionnant de croire à ces récits narratifs alors que parmi ces pays anciennement sous la tutelle française, il y a ceux qui ont déjà atteint un niveau de développement remarquable par rapport aux autres. L’exemple typique est la Côte d’Ivoire.

Comme le souligne l’historien camerounais Achille Mbembe dans son essai intitulé Sortir de la grande nuit, « on ne peut pas bâtir l’avenir sur la haine d’autrui, mais sur la réappropriation de son propre destin. » Selon la Banque Mondiale , « on sait que des ressentiments naissent au sein d’une population quand des individus ou des groupes d’individus sont défavorisés socialement, politiquement ou culturellement. Les conflits sont plus probables lorsque ces inégalités sont d’origine ethnique, religieuse ou territoriale. » Or, cette zone subsaharienne est faite de différentes ethnies, d’où les rivalités pourraient évidement apparaître.
Malgré les erreurs qui ont pu être commises par la France pendant la colonisation et même quelques années après, les pays nouvellement indépendants n’ont pas eu une vision pour leurs nations. Il serait respectueux, digne et diplomatique de revoir les relations bilatérales plutôt que d’adopter une posture virulente – voire violente – à l’égard de la France, comme si rien de positif n’avait été fait. Comme l’a déjà dit le professeur Mbembe, « le sentiment dominant porte sur la nécessité de réviser les fondamentaux de cette relation [françafrique] pour qu’elle soit profitable aux deux parties ».
L’instrumentalisation politique, une dissimulation des échecs
De nombreux régimes autoritaires ou militaires, en difficulté face à leur population, ont trouvé dans les discours anti-français, un outil efficace de détournement de l’attention. Au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger, les juntes au pouvoir utilisent ces genres de discours pour légitimer leur autorité. En réalité, cette posture s’apparente à une diversion qui permet d’éviter les vraies réformes et de masquer leur incapacité à améliorer les conditions de vie de leurs citoyens alors que, pour prendre le pouvoir, ils accusaient leurs prédécesseurs de la corruption, l’enrichissement illicite, etc.
L’expert sénégalais Bakary Sambe précise que « la remise en cause de la présence Française en Afrique devient un alibi pour les pouvoirs faibles, incapables de répondre aux aspirations de leur peuple » (Le Monde Afrique, 2023).
Par ailleurs, ces nouveaux faiseurs de rois n’ont jamais permis des voix discordantes à exposer leurs échecs. Des arrestations, des actes de tortures et d’emprisonnement sont monnaie courantes. Cela devient une menace à la démocratie un échec et une douche froide à l’espoir de la population.
Une boulimie de pouvoir ou une révolte émotionnelle ?
Le malheur de l’Afrique subsaharienne, colonisée par la France ou des pays qui prétendent mettre fin à leurs relations diplomatiques avec la France, n’est pas le résultat d’une exploitation systématique des ressources naturelles africaines par la France comme cela semble être relayé dans certains récits. Selon la Banque mondiale (2022), la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ont vu leur PIB par habitant stagner voire régresser non pas à cause de sanctions extérieures, mais en raison d’une gouvernance déficiente et des conflits internes.
La question qu’on peut se poser ici est : est-ce que les ressources disponibles sont-elles vraiment bien utilisées au profit de la population locale ? Est-ce que le niveau de vie de la population des pays non colonisés par la France est plus satisfaisant que celle des pays colonisés par la France ? Sans prétendre y apporter une réponse, plusieurs facteurs internes pourraient justifier la pauvreté de ces pays : une corruption systémique qui détourne les fonds publics au profit d’élites politico-militaires, une mauvaise gestion des ressources naturelles, souvent vendues à bas prix ou mal exploitées, un système éducatif inadéquat et obsolète qui ne forme pas les jeunes aux réalités du marché du travail, une instabilité politique récurrente et des coups d’État réguliers qui freinent les investissements étrangers et la croissance.
Ce qui est surprenant, après la prise de pouvoir de ces militaires et la promesse qu’après la transition ils remettront le pouvoir aux civils, ils se portent candidat aux élections qu’ils organisent eux-mêmes. L’exemple typique est celui du Gabon. Cela explique qu’au-delà des raisons évoquées après les coups d’Etat, il y a une boulimie du pouvoir.
Le terrorisme, une menace avant tout transnationale
L’autre accusation récurrente porte sur la responsabilité supposée de la France dans la propagation du terrorisme au Sahel. Pourtant, l’origine de cette menace est bien plus complexe dans cette région. Le vide institutionnel laissé après la chute de Kadhafi en Libye, la pauvreté chronique qui poussent certains jeunes africains à fuir leurs pays et qui se retrouve au fond des océans, la marginalisation de certaines communautés sont des facteurs bien plus déterminants que la seule présence militaire française. Par ailleurs, l’opération Barkhane, bien que critiquée, a été à l’origine de l’élimination de plusieurs chefs terroristes et de la stabilisation temporaire de zones entièrement livrées à des groupes djihadistes. Depuis le retrait de la France, on observe une aggravation des violences, notamment au Burkina Faso et au Mali, où les groupes armés ont gagné du terrain, comme le confirme l’ONU dans son rapport de décembre 2023. Le cas le plus récent est celui d’une exécution sommaire des civils dans la région de Mopti à Diafarabé.
Partout à travers le monde, on peut observer une montée en puissance du terrorisme ce qui montre réellement que la France dont fait objet les actes d’accusation ne devrait pas porter cette étiquette honteuse.
Le développement : une responsabilité d’abord locale
Le développement économique, social et institutionnel ne peut être importé. Il doit être l’œuvre des populations locales, guidées par des élites visionnaires, intègres et soucieuses du bien commun. Des pays comme le Rwanda, le Botswana ou le Cap-Vert, qui ont su amorcer des trajectoires de développement positives, montrent que la clé ne réside pas dans la rupture avec d’anciens partenaires, mais dans la création d’institutions solides, d’une justice indépendante et d’une éducation de qualité.
La Chine, la Russie, des visages cagoulés derrière …
Certains pays africains, désireux de rompre avec la France, se tournent vers d’autres puissances comme la Russie ou la Chine. Mais ces nouveaux partenariats ne sont pas toujours plus vertueux. Le groupe Wagner, le mercenariat qui n’est régi par aucune loi de droit international, présent au Mali ou en Centrafrique et accusé de violations massives des droits humains, ne devrait pas remplacé une armée régulière dans la logique des choses.
La Chine, quant à elle, impose des conditions financières rigides et alourdit la dette des États. Comme le note l’économiste togolais Kako Nubukpo dans Revue Afrique contemporaine, 2021: « L’alternative à la France ne doit pas être une nouvelle dépendance, mais une souveraineté réfléchie ».
De plus, bien que tous ces pays ne veulent plus de la France, Takilal Ndolassem, le président du parti Front Populaire pour la Liberté (FPL) affirme qu’il faut le faire avec attention. « On dit souvent aime le diable que tu connais et méfie-toi de l’ange que tu ne connais pas. Malgré tout nous connaissons bien les Français. Mais il ne faut pas que par dépit amoureux on se jette dans les bras de la Chine, de la Russie ou de quelqu’un d’autre. Nous disons : faites attention ne nous amenez pas au divorce. Beaucoup pour nous, nous aimons la France, nous vivons en France, nous avons étudié le français, nous parlons français 90 % du temps. »
Bref, la responsabilité endossée par la France, bien qu’elle puisse avoir un fondement historique, s’apparente aujourd’hui à un voile d’obscurantisme idéologique qui empêche de voir les vraies causes et racines et de proposer des solutions concrètes adaptées aux réalités de la population. La première priorité devrait être le vrai patriotisme guidé par l’esprit de servir la nation plutôt que l’occasion de s’enrichir et de se débarrasser des opposants. La France n’est ni le salut, ni le mal incarné : elle est un partenaire parmi d’autres, utile tant que les élites africaines sauront défendre les intérêts de leurs peuples.
Par Thérence HATEGEKIMANA
Sources :
Achille Bembe, Sortir de la grande nuit, 2013
Bakary Sambe, Le Monde Afrique, 2023.
Kako Nubukpo, Revue Afrique contemporaine, 2021
https://www.bbc.com/afrique/region-56971100
https://freedomhouse.org/article/surge-military-coups-africa-threatens-human-rights-and-rule-law
