Armée française et guerre informationnelle : le théâtre malien en proie aux affrontements de puissances

               À l’aube du 10e anniversaire de l’intervention militaire française au Mali, l’armée française – initialement victorieuse contre les bandes terroristes du Nord – vient d’être évincée du pays et aussitôt remplacée par des miliciens russes. Coïncidence ou simple retournement politique ?

Ancienne colonie française, le Mali gagna son indépendance en 1960 tout en gardant, depuis, des liens économiques et politiques forts avec la France. L’interdépendance est aujourd’hui mutuelle, les intérêts financiers à double sens, des ressortissants en nombre et une langue commune partagée constituait le socle de la relation bilatérale entre les deux pays. Épicentre africain du commerce et du marché de l’or noir, le Mali constitue également un espace très convoité par les Européens, pourtant, suite aux opérations militaires et depuis le début de l’année 2022, les relations franco-maliennes se sont détériorées.

Agir contre le terrorisme reste une priorité pour tous, bien que des enjeux multiples et des intérêts de puissances s’ingèrent dans la région. Avant d’entamer un éventuel travail de reconstruction des liens bilatéraux, un bilan rétrospectif semble inévitable.

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De la victoire militaire à l’échec diplomatique

En 2012, le nord du Mali tomba sous la pression des bandes terroristes, menaçant la totalité du pays dont la capitale Bamako, le gouvernement malien fit immédiatement appel à son allié historique : la France.

Ainsi, face à ce risque majeur de déstabilisation de la sous-région, d’invasion visant la capitale malienne et de mise en danger des intérêts français, le 12 janvier 2013, le président Hollande donna le coup d’envoi de l’opération Serval. « […] La France, à la demande du président du Mali et dans le respect de la charte des Nations unies, s’est engagée hier pour appuyer l’armée malienne face à l’agression terroriste qui menace toute l’Afrique de l’Ouest. »

L’engagement des forces françaises a été facilité par une connaissance initialement fine de la région. « […] Grâce à la richesse d’une histoire commune avec la sous-région, la France ne partait pas d’une feuille blanche au Mali et disposait d’une bonne connaissance des réalités culturelles et ethniques du pays. […] La proximité avec des acteurs locaux par le biais du réseau de coopérants a grandement facilité le binômage des troupes françaises et africaines, et donc l’action conjointe. »[1], indique le chercheur de l’IFRI, Antoine D’Evry.

De plus, le déploiement préalable de la DGSE sur le terrain a permis aux forces armées de disposer d’un renseignement de qualité dès le début de l’engagement. « Seul service déployé au Mali avant le déclenchement de Serval, la DGSE […] a ainsi collecté un volume important d’informations sur les groupes armés, leurs chefs, leurs caches d’armes et autres plots logistiques, autant d’éléments qui ont pu servir par la suite. »[2] Ce qui a permis à la DRM de « disposer d’emblée d’une mine d’informations lui permettant d’affiner la manœuvre des différents capteurs mais aussi de fournir immédiatement au CPCO une liste d’objectifs à détruire ou à saisir »[3].

Appuyé par le renseignement, rompues au combat sur le théâtre sahélien et fortes d’un savoir-faire en matière de contre-insurrection, les forces armées françaises ont pu mettre un coup d’arrêt à la menace terroriste. L’opération Serval fut une réponse victorieuse face à la montée de l’islamisme radical. Le déploiement français et international[4] de plusieurs milliers de soldats pour aider à la récupération de la zone de conflit a permis, en moins de deux ans, de reprendre Gao et Tombouctou des mains des terroristes, entériné par l’accord de défense entre Paris et Bamako le 16 juillet 2014 instaurant l’opération Barkhane.

Cependant, la victoire opérationnelle a laissé place à un engagement excessivement prolongé qui a souffert de ne pas être traduit en termes politiques et diplomatiques. « Nous connaissons la cyclicité de l’acceptation de l’intervention d’une puissance étrangère sur un sol souverain – en moyenne, elle est de trois ans maximum. Aujourd’hui, nous sommes à neuf ans de présence française, cela devient forcément difficile », détaillait, au début de l’année 2022, Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS. Cet enlisement a inévitablement conduit à des erreurs, exploitées par les opposants de la France dans la région.

La junte militaire malienne, dorénavant au pouvoir, a par exemple accusé la France de subversion dans un courrier adressé à l’ONU. « Outre l’espionnage, les forces françaises se sont rendues coupables de subversion en publiant [de] fausses images montées de toutes pièces afin d’accuser [des soldats maliens] d’être les auteurs de tueries de civils »[5]. Face à de telles accusations, le Mali a rompu les accords de défense en mai 2022 mettant un terme aux opérations militaires et les dernières forces françaises ont quitté le pays le 15 août 2022 pour se redéployer dans le reste de la sous-région.

 

France – Russie au Mali : le théâtre d’un affrontement par procuration

Profitant de l’immobilisme français, la Russie avait tenté depuis plusieurs années de s’imposer comme une alternative à la France : d’abord par un discours diplomatique empreint de réalisme et sur le terrain grâce aux mercenaires Wagner, proches de l’exécutif russe, alors déployés dans la lutte antiterroriste. « Nous avons connaissance de l’implication du gouvernement de la Fédération de Russie dans la fourniture d’un soutien matériel au déploiement du groupe Wagner au Mali […] », indique l’ambassade de France par un communiqué du 23 décembre 2021[6].

Une manœuvre de déstabilisation aurait été entreprise, en prenant pour point d’appui le charnier de Gossi, (situé près d’une ancienne base militaire française), et aurait été montée par les forces russes appuyées par les militaires maliens pour accuser les forces françaises et les décrédibiliser dans l’opinion publique. « Les milices Wagner, pilotées par la Russie, ont tenté un coup en essayant de monter un faux charnier. Des malheureux sont morts, et ils ont tenté d’enterrer ces gens comme si les forces françaises les avaient exécutés », dénonce le sénateur Christian Cambon, président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées[7]. Cette accusation a beaucoup altéré l’image des forces armées françaises, relayée par des canaux de désinformation auprès des populations locales, mais a rapidement été balayée par les autorités françaises. « Par chance, nous avons un certain nombre de satellites qui circulent dans le coin et qui ont pu démonter cette manœuvre grossière ».

Prendre cette position est un choix risqué pour le respect des réglementations internationales et pour les autorités maliennes. « Il n’y a plus de respect des règles internationales, on voit des milices qui agissent pour le compte d’un certain nombre de gouvernements. C’est absolument dramatique », déplore Christian Cambon. En effet, remplacer les forces françaises par les forces russes, c’est accepter de remplacer des forces régulières respectueuses du droit international par des milices dont les commanditaires ne sont ni identifiables, ni officiellement responsables.

L’opposition entre la France et la Russie ne doit pas faire oublier la potentielle résurgence du terrorisme dans la région ce qui interroge quant aux capacités des forces russes à contenir la menace avec seulement « mille hommes mal équipés par rapport à l’armée française, sans force aérienne efficace ni de drone […] » [8], précise Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali.

 

Un retournement brutal et des liens séculaires

La blessure est profonde, l’échec cuisant et l’humiliation totale pour la France et ses forces armées qui auraient perdu 58 militaires depuis 2013. Malgré une réussite opérationnelle et un éloignement de la menace terroriste, les relations bilatérales sont au plus bas si bien que l’ambassadeur français à Bamako, Joël Meyer, a été renvoyé par le Mali le 31 janvier 2022.

Lors de son déplacement en Afrique de l’Ouest en juillet 2022, le président français Emmanuel Macron a opté pour une nouvelle stratégie de défense et de lutte antiterroriste, celle de se rallier non pas à un pays, mais à la CEDEAO. « La France continuera de bâtir son action dans la région au service d’États souverains légitimes et de cette organisation régionale », la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), « car nous considérons que notre rôle est d’aider la région à réussir cette bataille contre le terrorisme », a assuré Emmanuel Macron.[9] Une réponse centrée sur la lutte contre le terrorisme mais qui néglige le rôle joué par les puissances telles que la Russie et qui ne semble pas prendre la mesure des enjeux de la région.

Finalement, ce retournement politique brutal ne doit pas faire oublier les liens entretenus entre les deux pays depuis 1960. Par ailleurs, il est fort à parier que les incursions terroristes ne s’achèveront pas de cette manière tant la question des incursions du Nord vers le Sud est liée à l’histoire du pays et pourrait annoncer de nouvelles déstabilisations à venir.

De manière générale, l’histoire nous montre que l’amitié mutuelle, le partage d’une langue et d’une histoire communes et des intérêts économiques de long terme sont souvent des gages de confiance plus forts entre les États que des postures opportunistes.

                                                                                                                                                             Par Claire Pinel

 

[1] L’opération Serval à l’épreuve du doute : Vrais succès et fausses leçons – Antoine D’Evry – Juillet 2015 – IFRI, page 26

[2] L’opération Serval à l’épreuve du doute : Vrais succès et fausses leçons – Antoine D’Evry – Juillet 2015 – IFRI

[3] L’opération Serval à l’épreuve du doute : Vrais succès et fausses leçons – Antoine D’Evry – Juillet 2015 – IFRI

[4] Le Conseil de sécurité de l’ONU dans la résolution 2085 du 21 décembre 2012 autorise la France et l’Union européenne à intervenir au Mali.

[5] Lettre d’accusation d’espionnage rédigé par le Mali contre la France. Lettre envoyée dans 193 pays de l’ONU le 2 mai 2022.

[6] Communiqué de l’ambassade de France au Mali : https://ml.ambafrance.org/Communique-conjoint-sur-le-deploiement-du-groupe-Wagner-au-Mali-23-decembre

[7] Interview de Christian Cambon sur Public Sénat : https://www.publicsenat.fr/article/politique/charnier-de-gossi-au-mali-cambon-denonce-la-manoeuvre-grossiere-des-milices-wagner

[8] Article de France 24 – Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, 17 Août 2022 https://www.france24.com/fr/afrique/20220817-mali-des-forces-de-s%C3%A9curit%C3%A9-russes-signal%C3%A9es-%C3%A0-gao-apr%C3%A8s-le-retrait-de-l-arm%C3%A9e-fran%C3%A7aise

[9] Article Le Point, 28 juillet 2022 – https://www.lepoint.fr/afrique/terrorisme-en-afrique-de-l-ouest-macron-veut-s-appuyer-sur-la-cedeao-28-07-2022-2484746_3826.php